MIROIR        
© J.L Teyssié photographe
               
                 

« La rivière est un laboratoire de vies, la pêche n'est qu'une éprouvette…à essais » P. Miramont.

Pierre Miramont est un philosophe de la pêche à la mouche et un précurseur de la pensée subaquatique. Avant d'engager nos hypothèses sur ce sujet, je tiens à lui rendre un grand hommage. Son expérience de pêche est précieuse. Ses interprétations sont percutantes. Pierre a su dans son ouvrage « l'Ephémère et la truite » et plus précisément dans son chapitre « la truite et la couleur » dégager bien des vérités. Si le martin pêcheur est bleu comme le sont les pattes des hérons, ce n'est pas un hasard. Les couleurs, les chaleurs, les visions, les lumières jouent un rôle primordial dans le comportement de la truite. Je vous conseille de lire cet ouvrage référence et de découvrir une des nombreuses vérités des hommes et des poissons.

De nombreux scientifiques se sont posés des questions sur les visions des truites et bien d'autres poissons. L'étude de la morphologie des yeux et de leurs constituants démontrent que les poissons voient en couleur et distinguent les tons. Ils discernent certaines longueurs d'onde invisibles à l'espèce humaine et décodent la lumière polarisée. Le poisson rouge et la truite perçoivent même les ultraviolets. Cette dernière détaille les insectes, les mouches artificielles dans des longueurs d'onde que nous ne pouvons percevoir. La truite a une grande capacité d'adaptation à la vision nocturne par très faible luminosité. Elle a également une perception du mouvement incroyable. Cette perception est importante pour l'animal aussi bien pour la vigilance que pour la chasse d'une proie. Elle dépend de la richesse de la rétine en photorécepteurs et de la persistance dans le temps de la vision qui conditionne le haut degré de sensibilité au mouvement. Ainsi la truite peut distinguer un mouvement d'insecte rapide qui dérive dans une veine d'eau encore plus rapide. Si l'information est décodée, l'attaque est déclenchée même sur un laps de temps qui nous paraît à nous, moucheurs , très court.

Ces réponses de laboratoire sont intéressantes mais comment relier la théorie scientifique à la pratique de la pêche à la mouche? L'œil du poisson fonctionnant dans l'eau, c'est dans l'eau qu'il faut approcher ses qualités optiques. Sa lentille, son cristallin sont pratiquement sphériques et concentrent au maximum les rayons visuels. Les images des objets se forment en avant de la rétine : le poisson est myope mais l'accommodation permet la vue à distance. Sa vision proche est parfaite. Son cristallin n'est pas déformable comme celui de l'être humain. Les scientifiques prouvent que l'accommodation est identique à celle d'un appareil photo où la mise au point résulte du déplacement de l'objectif. Nous utiliserons donc un appareil photo numérique (APN) protégé par un caisson étanche. Cet APN sera habillé d'un objectif grand angle 12-24mm approchant sous l'eau le champ de vision d'un œil de truite qui est supérieur à 150°. La truite possède un système optique des plus performants de la planète. Avec 300° en vision totale, le poisson distingue tout ce qui bouge autour de lui sans tourner la tête ! Cette vision monoculaire large est complétée par une vision binoculaire de face où la truite évalue la distance des objets. Elle peut en même temps viser votre artificielle tout en guettant vos moindres mouvements sur la berge. La forte résolution d'un APN nous rapproche des performances oculaires de la truite qui distingue très bien deux objets séparés par une moindre distance. La rapidité de mise au point de cet APN, la netteté, la sensibilité des images numériques, la reproduction des contrastes, des couleurs, des tons permettent d'acquérir des images proches de la vision du salmonidé.

Maintenant plongeons dans les cours d'eau. La première chose qui choque est l'effet de miroir ou écho des images. Si l'on se retourne vers la surface, on découvre selon l'angle d'incidence, la projection du sol composant le lit de la rivière. L'image des fonds paraît en eau claire, plus ou moins nette selon sa distance à la surface et plus ou moins déformée selon la plissure du miroir. Lisse en eau calme, le miroir se tend puis se déforme dans les rapides et s'efface dans les risées. Les poissons semblent être coincés dans un tunnel de reflets. Ils vivent en sandwich entre l'image réelle du fond et sa projection sous la surface. Dans certaines rivières ou lacs de haute montagne, les poissons gobent dans le miroir lisse et cessent leur activité nutritionnelle lorsque ce miroir se plisse sous la pression des risées. Nous pourrions émettre l'hypothèse que le poisson perd ses repères dans un miroir plissé qui ne reflète pas bien le fond. Idem en lumière verticale au zénith lorsque cette image disparaît. Les gobages reprennent le soir ou le matin lorsque la lumière solaire incidente permet la réflexion du sol sous la surface. Au printemps et en automne, le soleil est plus bas qu'en été. Les rayons incidents favorisent la formation des images échos plus longtemps sur la rivière. Nous pourrions corréler ce phénomène avec les activités spécifiques des truites en ces périodes. Les salmonidés craignent la lumière. Ils pourraient être perturbés par la perte d'une image écho sous la surface. D'autres paramètres comme la température, les flux etc. influent sur les activités des poissons et la production de leur nourriture, alors pourquoi pas la lumière ? Son intensité, son inclinaison, sa réfraction, sa filtration pourraient avoir des incidences sur les comportements des salmonidés ou de leurs proies, liés aux repères lumino-géographiques.

Article publié dans la revue Pêche Mouche
 
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