Dimanche 23 juin : un spectacle inoubliable nous attendait dans les gorges du Cians à 75 km de Nice. Un bloom de papillons des alpages (apollon) saupoudrait les gorges rouges de la rivière du Cians. Les apollons flottaient dans l'air torride ( 35°C ) tandis que les truites gobaient tranquillement nos mercantours glissant sur les eaux fraîches du canyon. Guillaume, moucheur lépidoptériste observait à la fois cette manne blanche et les poissons gobeurs actifs sur des mouches sèches. La nature nous offre quelquefois des spectacles insolites et merveilleux. Ami moucheur, si tu aimes les papillons et la pêche sauvage dans un paysage Martien, n'hésite pas à détourner ton regard vers les gorges du Cians.

Pour comprendre et lire le Cians il faut découvrir son profil morpho-géologique particulier. Les gorges du Cians sont uniques. Sur 24 km de parcours, avec un dénivelé moyen de 68%, elles traversent les calcaires du Trias, du crétacé, les marnes grises, les grès quartzites, les schistes et les pélites rouges du Barrot. Le Cians, principal affluent du fleuve Var, raconte l'histoire de la planète sur quelques kilomètres. Sur chaque roche, un écosystème spécifique s'organise dépendant de la production en nourriture, du profil et du dénivelé de la rivière. La production des chaînes alimentaires sur les parcours avals larges, ouverts au soleil, chauds et réceptifs à l'activité photosynthétique contraste avec la pauvreté des écosystèmes fragiles des clues sombres, froides et des gorges profondes. Les truites s'adaptent à de nombreux contextes et survivent aux pressions naturelles sévères, au climat méditerranéen avec son régime pluvio-nival qui engendre tantôt des crues violentes, des salissures des eaux, des modifications de l'habitat, tantôt des sécheresses, des réductions des capacités d'accueil et de production par infiltration dans la partie amont du Cians. Les truites s'adaptent et se confondent avec leur biotope pour survivre. La truite du Bas Cians n'est pas habillée de la même robe que sa cousine des hautes gorges ou de celle de la grande clue longue de 1067 m qui ne voit jamais le soleil dans l'année. En plus d'une remontée dans le temps, les gorges du Cians offrent une biodiversité étonnante qui doit être avant tout protégée des stress anthropiques pour garder la mémoire du patrimoine pélite rouge.

Cette mémoire est de plus en plus menacée par les stress anthropiques. L'effet de serre engendre très rapidement à l'échelle du temps planétaire des rythmes saisonniers moins stables avec des saisons décalées. Les truites du Cians comme celles des autres rivières n'ont pas le temps sur quelques générations de s'adapter génétiquement à ces changement rapides. De plus, les populations salmonicoles du Cians sont inquiétées depuis le siècle dernier par de continuels travaux d'aménagement et de maintenance de la route qui monte de la vallée du Var à Beuil où la rivière prend sa source à 1400m d'altitude. Ces travaux de recalibrage, d'élargissement, de sécurisation de la route, de réfection des berges consécutivement à la crue de novembre 1994, canalisent de plus en plus la rivière. Cependant indispensables au développement de l'économie locale, ils modifient malheureusement le lit du Cians en colmatant les frayères, en détruisant les habitats des invertébrés aquatiques, en diminuant les d'abris et en isolant sur certaines zones les populations de truites, de barbeaux méridionaux et d'anguilles. Les déversements des huiles de vidanges mélangées aux gravats des travaux perturbent également le fonctionnement des premiers maillons des chaînes alimentaires sur des hectomètres de rivière en se fixant sur les substrat fins du sédiment.

Mais alors, pourquoi aller dans cette rivière rouge si le tableau est si noir ? Tout simplement parce que le Cians résiste aidé par la nature dont les crues nettoient, curent, balayent les obstacles artificiels, reprofilent la rivière en recalibrant le substrat de façon bénéfique. Aidé par la nature, le patrimoine du Cians unique en son genre, est également inscrit dans le programme Européen de protection Natura 2000. Mais si la rivière parvient à se refaire une santé au fil du temps bien qu'elle soit de plus en plus perturbée, si les poissons survivent, c'est bien grâce aux actions bénévoles, bénéfiques et constantes de l'équipe Monti qui supervise l'AAPPMA de l'Amicale des Pêcheurs du Cians. La bataille est difficile contre les pressions et les développements nécessaires à la survie de la micro-économie de vallée. Louis Monti mise alors sur une gestion patrimoniale avec entretient des sites de nutrition et de reproduction, un alevinage ciblé sur les zones déstabilisées et une surveillance quotidienne du lit de la rivière. Louis est un homme de terrain qui connaît son coin qui note le moindre changement, le plus petit stress et qui négocie diplomatiquement avec les perturbateurs du milieu afin de minimiser les impacts. Le montant des travaux de maintenance s'élève à 5.4 million d'Euros, on peut se demander quel est le pourcentage reversé à l'entretient et la protection de la rivière? Le Cians sans son AAPPMA serait devenu un canyon calibré et désert de vie aquatique. Un parcours no-kill dans les gorges serait le bienvenue pour protéger les populations de poissons endémiques des trop fortes pressions de pêche ponctuelles immédiatement après l'ouverture et pour montrer les réels stress de cette rivière aux moucheurs défenseurs de l'environnement et supporters des AAPPMA responsables .