Sécheresses et crues font partie du patrimoine cévenol depuis des milliers d'années. Les poissons sauvages endémiques (chevesnes, blageons, vairons, barbeaux de Méditerranée, truites) ont toujours survécu dans ces écosystèmes. Les vallons, sanctuaires sauvages, sont les pools pépinières des rivières cévenoles. Ils ensemencent par dévalaison les rivières du piémont où grandissent les géniteurs qui remontent pondre tranquillement dans ces vallons. Les périodes d'étiages sont nécessaires pour garder les alevins en zones fraîches dans les châtaigneraies en tête de bassin car les zones de confluence avec la rivière principale sont à sec et empêchent une migration estivale vers le réseau principal trop chaud.
 
     
 
Les pluies automnales prennent le relais et les truitelles dévalent pour repeupler les écosystèmes nettoyés des eutrophisations estivales. Tout est équilibre et les cycles de vie s'organisent autour des saisons. Mais depuis le début du vingtième siècle, date des premières interventions empiriques de l'homme sur les rivières, les populations salmonicoles, sélectionnées génétiquement par des millions d'années de pressions naturelles, disparaissent des réseaux principaux pour laisser place à des repeuplements artificiels non adaptés aux aléas climatiques du sud. Pressions de pêche abusives, incontrôlées, accroissements vertigineux des pollutions ménagères, braconnage estival massif donnent malheureusement crédit aux gestions piscicoles locales basées sur l'alevinage intensif. Ce n'est pas parce que l'on en met qu'il y en aura. La nature n'est pas si simple. C'est un peu comme dire qu'une truite est sauvage parce qu'elle a des points rouges ! Il ne faut pas déconner ! Il semblerait que les gestionnaires halieutiques locaux veulent à tout prix transformer les rivières cévenoles en parcours de pêche pour satisfaire une clientèle désireuse de rentabiliser la carte de pêche transformée en SICAV. Les déversements d'alevins (souvent de plusieurs dizaines de centimètres de long) dans les Gardons cévenols ne tiennent pas compte des capacités d'accueil nutritionnelles et spatiales si bien calibrée en milieux sélectifs depuis les temps lointains.
           
 
   

Résultats, les chevesnes se régalent des truitelles et les truites sauvages sont génétiquement et sanitairement contaminées par les truites portions issues de pisciculture. Moins d'espace, moins de nourriture, les géniteurs sauvages disparaissent au fil du temps. L'équilibre des populations cyprinidés/salmonidés est rompu. On dit alors qu'il n'y a que des « cabots » dans les rivières…mais à qui la faute ? Il est quand même incroyable de voir que les seules populations de poissons (chevesnes) non gérées par les hommes se portent à merveille ! En tout cas le cycle salmonicole piémont/vallons est rompu à tout jamais tant que de telles gestions orchestreront la région. Le cycle est donc cassé et les géniteurs ne remontent plus dans les vallons où cependant une toute petite population reste encore installée loin des stress anthropiques. Seules les têtes de bassin difficile d'accès et enfouis sous un couvert forestier de plus en plus négligé, abritent les souvenirs piscicoles qui sont à protéger en toute priorité.

   

Il y a toujours eu des compétitions entre les populations de poissons mais dans un contexte climatique et sanitaire naturel. Par exemple et pour revenir à nos vallons, on notera la présence de deux espèces de poissons qui sont en compétition. Les barbeaux de Méditerranée ou turgans occupent les mêmes niches écologiques que les truites endémiques mais pas sur les mêmes versants ce qui les sauvent des uns et des autres. Le turgan supporte des eaux plus chaudes et se localise sur les versants sud alors que la truite se cale sous les forêts de châtaigniers dans les versants nord. Le turgan protégé par le programme européen natura 2000 est une espèce en voie de disparition. Hé oui, on s'occupe toujours des truites et on oublie vite les autres espèces avec nos réflexes de moucheur. Il faut sortir du contexte pêcheur pour ouvrir son esprit à un contexte écologique et pour comprendre la nature que nous fréquentons afin de mieux la protéger. Les grémilles, les aprons, les barbeaux de méditerranée, les écrevisses à pattes blanches, les rainettes etc. disparaissent avec les pollutions, la surpêche et le canyonning. Saviez-vous que le turgan existe seulement dans le monde entre Perpignan et Menton? Ce poisson est en train d'être littéralement massacré par le canyoning dans les Alpes Maritimes: qui s'en occupe ??? Idem pour l'apron dans le Verdon avec le rafting ! Lorsque les rivières perdent leurs populations de poissons, d'invertébrés, d'animaux, elles perdent leur capacité d'auto-épuration. Cela veut dire que selon les prévisions européennes les plus optimistes, nos rivières deviendront dans cinq années des drains d'égouts si nous continuons à les gérer ainsi. Et vous allez sentir le prix du litre d'eau douce au robinet !! Rien de semblable avec les dernières augmentations connues.
Si j'insiste sur la partie écologie, c'est pour bien vous préciser qu'il faut maintenant pêcher avec de plus en plus d'informations sur l'état sanitaire des populations piscicoles et leur équilibre. La connaissance du milieu dans lequel on évolue est essentielle. Il ne faut pas s'arrêter aux contextes pêche mais écologiques. Le barbeau méridional est aussi important dans la nature que la truite et pourtant il est méprisé par les gestionnaires et les pêcheurs. Cela amène à l'idée d'un examen en écologie aquatique et en gestion piscicole de base pour obtenir un permis de pêche comme un permis de chasse.

Cévennes